PAR MAUDE BLOUIN, AGENTE DE TRANSFERT DE CONNAISSANCES, NOVALAIT
Frédérika Nadon, agronome et doctorante en sciences animales à l’Université Laval, étudie le bilan carbone des 20 fermes laitières participant au Laboratoire vivant – Lait carboneutre pour les supporter dans leur démarche d’innovation.
Lorsque Frédérika Nadon parle de son projet, nous comprenons rapidement qu’elle est dans son élément et qu’elle s’implique en recherche par passion. Elle a à cœur d’aider les producteurs laitiers à améliorer leurs façons de faire pour être plus résilients face aux changements climatiques.
« J’aime plaisanter en disant que je les aime d’amour mes producteurs. »
Son projet de doctorat porte sur le bilan carbone des 20 fermes laitières participant au Laboratoire vivant – Lait carboneutre (LVLC) et à la comparaison de quatre outils disponibles pour calculer ce bilan. Les laboratoires vivants sont une grande démarche d’innovation supportée par la recherche, initiés et financés par le programme Solutions agricoles pour le climat – Laboratoires vivants d’Agriculture et Agroalimentaire Canada. Un laboratoire vivant réunit des agriculteurs, des scientifiques et d’autres partenaires du secteur pour développer, mettre à l’essai et évaluer ensemble de nouvelles pratiques et technologies dans un contexte réel de production, pour accélérer leur adoption à la ferme. Le LVLC vise à comprendre, innover, et améliorer les pratiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) des fermes laitières québécoises, d’optimiser la séquestration du carbone des sols agricoles et d’inciter un large nombre de producteurs laitiers à s’engager vers la carboneutralité.
Une passion pour la recherche

À la mi-parcours de son baccalauréat en agronomie, Frédérika savait qu’elle souhaitait poursuivre en recherche aux études graduées. Elle a rencontré sa directrice, Édith Charbonneau, lors de son cours sur la production laitière. Édith est d’ailleurs la directrice scientifique du Laboratoire vivant – Lait carboneutre pour les activités de recherche qui relèvent du partenaire principal, Les producteurs de lait du Québec.
Frédérika a réalisé sa maîtrise sur un projet très fondamental lié à l’alimentation des bovins laitiers. C’est durant sa deuxième année de maîtrise qu’elle a davantage côtoyé sa directrice et qu’elle a décidé d’entamer un doctorat sous sa supervision. « Je me suis fait une liste de points à atteindre avec le doctorat. Quand Édith m’a parlé du projet LVLC portant sur le bilan carbone, j’ai coché toutes mes cases et je me rapprochais de mes valeurs. »
La fierté de participer au changement
On ressent tout de suite la passion qu’éprouve Frédérika pour le fort potentiel que représente son projet de recherche. « Je suis très fière de faire partie de ce grand projet et je ressens un fort sentiment d’appartenance. J’ai la chance de rencontrer et développer une relation avec les 20 producteurs engagés du laboratoire vivant. C’était vraiment important pour moi au doctorat d’aller à la rencontre des producteurs et productrices. »
Elle comprend que l’atteinte de la carboneutralité représente un défi de taille pour les producteurs laitiers. Cependant, elle est optimiste et offre son support scientifique pour les aider dans cette démarche pouvant en motiver plusieurs autres au Québec et au Canada à innover dans leurs façons de faire.
S’inspirer d’ici et d’ailleurs
Entre deux jeunes scientifiques, la plaisanterie se met de la partie lorsqu’on se questionne sur ce qui vient après les études graduées. « La question qui tue ! » échange-t-on en riant. Passionnée par la recherche et expérimentée en enseignement universitaire comme auxiliaire, Frédérika n’est pas certaine de la direction que prendra son parcours après le doctorat.
Elle sait qu’elle aura une nouvelle liste de points à cocher pour prendre une décision sur son orientation professionnelle. Frédérika a réalisé différents stages de recherche au Canada et en Europe, ce qui lui a permis de voir diverses façons de faire, dont celles des Premières Nations de l’Ouest du pays. « J’aime le Québec, mais je suis ouverte à effectuer de la recherche ailleurs dans le monde. L’Europe fait mieux qu’ici pour certaines choses, mais ces pays ont également à apprendre de nos producteurs laitiers. Je souhaite être impliquée dans l’évolution des façons de faire des fermes laitières d’ici et d’ailleurs. »
Le bilan carbone, un bon point de départ
Dans le cadre de ses recherches, Frédérika a la responsabilité de calculer les bilans initiaux au début du laboratoire vivant, puis de recommencer l’exercice à la fin du processus, lorsque les producteurs auront mis en place certaines pratiques de gestion bénéfiques au sein de leur entreprise. Dit simplement, le bilan carbone d’une ferme laitière est obtenu en additionnant les émissions de GES des différentes activités (vaches, fosse à fumier, travail au champ, etc.), puis en soustrayant la quantité de carbone emmagasinée par le sol agricole. Le résultat obtenu, exprimé en équivalent CO2 (éq. CO2) par kilogramme de lait, permet de comparer les fermes entre elles, mais également à des fermes ailleurs dans le monde.
« Il faut voir le bilan carbone initial comme le point de départ vers la carboneutralité des fermes. Si les producteurs laitiers souhaitent devenir carboneutres, ils doivent d’abord savoir où ils se situent aujourd’hui pour déterminer des pistes d’améliorations à mettre en place. »
La moyenne des 20 fermes du laboratoire vivant se situe à 0,95 éq. CO2 par kilogramme de lait, tout près de la moyenne québécoise qui est de 0,93. Celle de l’Amérique du Nord est de 1,29 et la moyenne mondiale, quant à elle, s’élève à 2,50.

Les défis rencontrés pour calculer un bilan carbone
Les résultats d’un bilan carbone peuvent varier selon les pratiques mises en place, mais aussi selon l’outil utilisé pour le calculer. C’est pourquoi le doctorat de Frédérika mise également sur la comparaison de divers calculateurs disponibles au Canada et en Europe. Pour que ces calculateurs obtiennent des résultats similaires, l’équipe de recherche identifiera leurs différences pour proposer des solutions d’optimisation. En exemple, la séquestration de carbone des arbres constituant une haie brise-vent sur certaines fermes n’est pas toujours considérée.
Calculer le bilan carbone d’une ferme est ardu, car il nécessite la collecte d’un nombre faramineux d’informations. Le plan agroenvironnemental de fertilisation, les données de tous les intrants achetés pour la gestion de l’entreprise ainsi que les informations sur la productivité des vaches en sont quelques exemples. Frédérika salue la grande collaboration des producteurs et de leurs conseillers qui ont fouillé dans leurs archives de 2022, lui permettant ainsi d’accomplir son travail scientifique. Ce travail lui a d’ailleurs valu le prix coup de cœur du concours d’affiches Novalait lors du Symposium sur les bovins laitiers en octobre 2024.
La carboneutralité : un objectif pas si simple à atteindre…et à maintenir
Frédérika nous sensibilise finalement sur l’énorme défi que représente l’atteinte de la carboneutralité, mais surtout son maintien à long terme. « Le bilan carbone est très influencé par des paramètres hors du contrôle des producteurs laitiers, comme le type de sol, le climat, les saisons et les précipitations. Il faut garder en tête que, malgré tous les efforts des producteurs pour implanter des pratiques de gestion bénéfiques, il se peut que la carboneutralité ne soit pas toujours atteinte d’une année à l’autre. Les événements de sécheresse ou d’importantes précipitations peuvent influencer les émissions de GES des sols agricoles. »
Maintenant que les 20 producteurs ont reçu leur bilan carbone initial, ils collaborent avec d’autres scientifiques du laboratoire vivant pour la mise en place de pratiques de gestion bénéfiques. Celles-ci peuvent améliorer le bilan carbone de leur ferme, mais également entraîner des répercussions économiques et sociales avantageuses.
Pour en savoir plus sur le Laboratoire vivant – Lait carboneutre :
https://lait.org/notre-avenir/investissements-en-recherche/le-laboratoire-vivant-lait-carboneutre/
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2147150/lait-producteurs-pollution-gaz-effet-serre